Émile Palmantier est chargé de la coordination éditoriale du réseau Radio Campus France, Nicolas Horber est délégué général de Radio Campus France, Elsa Landard est rédactrice en chef de Radio Campus Paris. Tous trois donnent leur point de vue sur ce qu'est, finalement, une Radio Campus. Pour le reste, tout est ici.
C’est quoi Radio Campus France, en deux mots ?
Émile : En deux mots, je dirais : 29 radios locales... bon, ça fait trois mots. Radio Campus France, c’est une fédération regroupant 29 médias un peu partout en France – en métropole et en outre-mer, puisqu’on a une radio basée à Cayenne. J’aime à dire que c’est un groupe de médias, un ensemble qui essaie de travailler individuellement et, parfois, collectivement sur des opérations éditoriales dont j’ai parfois la charge.
Comme quoi ?
Émile : Je travaille autour de trois grands axes thématiques. La musique, d’abord, ce qui correspond un peu à l’ADN des radios depuis vingt, trente, voire quarante ans pour certaines d’entre elles. Ensuite, tous les sujets relatifs aux questions de société : l’égalité des sexes, le handicap, la vie étudiante...
Ces sujets sont-ils communs à toutes les Radio Campus ?
Émile : Je ne contrains aucune radio à des champs communs. Mais il y a un effet de translation, du local au national et parfois du national au local. On peut s'inspirer des bonnes actions menées par des médias qu’on représente, qu’on essaiera de disséminer à l’ensemble des radios. Il nous arrive aussi parfois d’avoir des idées ou des intuitions qui se transforment en projets communs : l'Europe et ses institutions, l'environnement et le climat - à l’occasion de la COP21 par exemple. Enfin, on est aussi amenés à muscler un peu notre engagement dans le domaine de la création radiophonique et de la création sonore en générale – un usage de la radio dont peu d’acteurs se saisissent, hormis le service public et France Culture pour ne pas les citer.
NDR : À l'occasion de la Nuit Européenne des Chercheur.e.s, les radios du réseau Radio Campus France s'étaient mobilisées, avec des programmes locaux, mais également au national avec notamment la production d'un documentaire, à la rencontre de celles et ceux qui font la recherche en sciences humaines, sociales et artistiques - en partenariat avec le ministère de la Culture.
Pourquoi y a-t-il des Radio Campus ?
Émile : Parce qu’il y a des jeunes (sourit). Je pense que c’est lié à l’idée d’association. Des gens souhaitent à un moment donné constituer un groupe, qui décide de porter une ou plusieurs paroles, aussi diverses ou communes soient-elles.
Pour prendre un exemple local, quel est le positionnement de Radio Campus Paris dans le paysage culturel, étudiant et radiophonique francilien ?
Elsa : Il y a beaucoup de radios associatives à Paris, et de médias jeunes, mais je pense que Radio Campus Paris a sa place. C’est une radio associative, locale, qui est là pour les jeunes étudiants et les jeunes franciliens. Quand on dit « jeune », à Radio Campus Paris, il n’y a pas de limite d’âge, on peut être jeune dans sa tête et vieux dans son corps, ou l’inverse, peu importe. C’est aussi une « radio-école » où on apprend à faire de la radio, à s’exprimer, prendre le micro, faire des reportages. Il y a peu d’endroits où on peut le faire.
Quel est le parcours d’un étudiant qui arrive à Radio Campus Paris ?
Elsa : Tout dépend de ce qu’il veut faire. Pour rejoindre la radio, on télécharge et on remplit un dossier de candidature, ou on vient nous voir. Si le projet est précis, on étudie le dossier, on voit si on a de la place sur la grille des programmes pour les accompagner. En début d’année (septembre) c’est mieux, pour avoir une place sur la grille, mais on peut toujours donner un coup de main à droite à gauche en cours d’année.
NDR : En tant que chroniqueur dans une émission installée ou en tant que réalisateur, par exemple.
Le but est de rendre les bénévoles aussi autonomes que possible dans leur(s) émission(s). Si on n’a pas d’idée précise, de concept d’émission, on peut leur apprendre à réaliser des émissions si c’est l’aspect technique qui les intéresse. Si c’est plutôt le côté journalistique qui les attire, on va les inviter à rejoindre notre magazine quotidien.
NDR : Radio Campus Paris - qui fêtera en 2018 ses 20 ans d'existence - organise d'ailleurs sa soirée de rentrée ce vendredi 27 octobre, à Paris. Si vous êtes dans le coin, n'hésitez pas à rencontrer l'équipe et les bénévoles de la radio, pour éventuellement les rejoindre ou juste passer une bonne soirée.
Quid du positionnement du réseau Radio Campus France dans le paysage radiophonique ?
Émile : Ce que dit Elsa est remarquable, quand elle dit « ça dépend de ce que les nouveaux ont envie de faire ».
On comprend bien que les Radio Campus portent des projets au-delà de la vie de campus. Le mot « campus » dans « Radio Campus » limite-t-il la perception que l’on peut avoir de ces radios ?
Émile : J’aime le mot « campus ». Je vois parfaitement ce que tu veux dire par là, que cela peut être réducteur, mais l’idée de campus c’est aussi l’idée d’académie, de fabrique, de lieu d’apprentissage et d’expérimentation. Dans une Radio Campus, un chercheur a par exemple toute sa place, de même qu’un artiste - qui est quelque part également un chercheur. On n’a pas besoin d’une carte d’étudiant pour entrer dans une Radio Campus, ou d’entrer dans une certaine classe d’âge. Il y a pas mal de gens dans nos radios qui ont plus de 35 ans.
Elsa : On a hérité de ce nom parce que les premières Radio Campus se sont créées dans les universités. Aujourd’hui, c’est différent, même si certaines d’entre elles sont toujours liées à une université, mais ce n’est plus le cas de la majorité des radios. On a des liens avec les universités, via des émissions de sciences, et on fait des ateliers dans les facs. Les liens sont permanents avec les universités, mais pas une en particulier, on est complètement indépendants.
Émile : Il y a une distinction sémantique qui est importante pour nous, en plus du facteur historique. Le distingo, c’est radio étudiante / radio universitaire. Ce ne sont pas des radios universitaires au sens où les personnes qui sont à la tête de ces radios ne sont pas des enseignants qui sont en charge des contenus, ou salariés des universités. En revanche, on peut qualifier les Radio Campus « d’étudiantes ». J’aurai tendance à dire que c’est un peu réducteur, parce qu’étudiant renvoie un peu à l’université alors qu’on peut être en école, privée, en BTS, ou sortir du milieu carcéral et venir frapper à la porte d’une Radio Campus - ce n’est pas du tout incompatible. C’est avant tout un label, dont nous sommes légataires, et qui nous vient de Lille, de ces jeunes ingénieurs qui ont monté une radio libre, pirate, ou une radio tout court. Des gens qui voulaient animer et diffuser cette radio-là. Nicolas en parlera mieux que moi. Nicolas ?
Nicolas :
Quelle était la question ? (rires).
Oui, donc Radio Campus Lille... Créée en 69 par un ingénieur qui propose à ses collègues de leur mettre un émetteur à disposition, ce qui fut le noyau de toutes les radios libres, sans développer cet aspect ici. Il y a un trou dans l’histoire de Radio Campus Lille. Ils fêtent leurs 50 ans en 2019, je pense qu’on en saura beaucoup plus bientôt car ils font un énorme travail de sélection d’archives et vont très certainement sortir une édition papier de l’histoire de Radio Campus Lille, qui est notoire, et sans doute héritons-nous de cet intitulé de « Radio Campus ».
Parlons des actions phare, des événements récurrents, portés par Radio Campus France...
Émile : Il y a ce que l’on a coutume d’appeler des programmes communs, avec différents modes opératoires. Ce qui a d’abord été imaginé par mes prédécesseurs, c’est une radio qui réalise un programme pour le compte de toutes, en vue d’une diffusion sur une case horaire commune à toutes les Radio Campus. Ce programme, Starting Block, est axé autour de la musique et de l’émergence musicale : un groupe local qui aurait vocation à faire une tournée nationale, un événement culturel très implanté dans sa région qui aurait vocation à étendre son territoire d’influence, toute initiative qui est liée de près ou de loin à la musique.
Un autre programme, UNIVOX, était un programme initialement très tourné vers la vie étudiante et les préoccupations que pourraient avoir les étudiants : inscriptions, logement, etc. Avec les chargés d’antenne de toutes les Radio Campus, on a essayé d’ouvrir un peu plus le volet thématique de ce programme, et l’ouvrir en tout cas à la vie des jeunes « apprenants », plus seulement des étudiants dans l’enseignement supérieur. J’évoquais tout à l’heure les personnes en réinsertion après être sorties du milieu carcéral, c’est un exemple. Ouvrir aussi davantage sur l’engagement des jeunes gens, qui décident de se former en associations, ou contribuer à l’action d’une ONG qui agit sur son territoire, et que la radio locale juge intéressant de valoriser sur le plan national.
Nicolas : Qu’en penses-tu, Elsa ?
Elsa : Euh, eh bien, je suis tout à fait d’accord !
(rires)
Émile : D’autant plus qu’Elsa contribue justement à cette idée d’ouverture, autour du programme UNIVOX.
Nicolas : Quand il y a une manifestation étudiante, les Radio Campus y sont. Elles sont aussi sur d'autres types de manifestations : la COP21, les questions européennes... D’ailleurs, à ce sujet, on nous répète toute la journée avec des sujets de trente secondes que « L’Europe, ce sont des méchants » ; mais si on passe notre temps à dire que ce sont des méchants, il faudrait aussi s’y intéresser, et c’est ce que font les Radio Campus.
Elsa : En allant par exemple une fois par mois à Strasbourg, pour un programme radiophonique dédié.
Est-ce que, globalement, on peut affirmer que le traitement des thématiques parfois perçues comme « rebutantes », comme l’Union Européenne, est forcément différent sur une Radio Campus ?
Nicolas : De facto. Clairement. Chacun son métier.
On a fait un jour un événement à Mulhouse, un truc « non-stop » : on apprenait, on bidouillait, on essayait, on faisait tout ce qu’on voulait. Il fallait tout le temps remplir des créneaux, trouver des sujets, des personnes à faire parler. Une nuit, on s’était retrouvés dans un petit bistro associatif, pour prendre du son, et puis une discussion politique s’est engagée - c’était juste avant des élections municipales. On avait un échange d’idées qui était très divers, des « pour », des « contre », des gens qui ne voulaient pas s’exprimer, d’autres qui restaient neutres, et puis subitement, on me tape dans le dos et on me dit qu’on a coupé la diffusion en direct. Je demande pourquoi à la personne chargée de la diffusion, qui me répond qu’on ne fait pas de politique dans les Radio Campus, qu’on ne se prononce pas sur des choix.
Émile : Ce sont les médias où les radios du « sensible ». La parole n’est pas toujours parfaitement maîtrisée, l’opinion personnelle ou collective a plus de place sur les radios associatives que l’on représente, mais ces gens le font avec sensibilité. On doit cultiver cet aspect sensible des choses.
Elsa : Je voudrais revenir sur le fait de ne pas faire comme les autres médias.
Il n’y a aucune règle sur la forme, mais on essaie de faire de la radio de qualité et d’apprendre. Le journalisme et les autres métiers de la radio sont des métiers qui s’apprennent. On essaie de respecter des règles de déontologie, d’avoir du recul et un sens critique.
C’est un super apprentissage de venir à Radio Campus, parce que tu es directement dans le bain. Quand tu fais un stage dans un autre média, d’abord tu regardes, ensuite tu peux un peu faire, mais jamais autant que ce que tu ferais ici, parce que tu es directement à l’antenne, tu vas faire tes reportages... Tu apprends « à la façon Campus », donc tu n’auras pas forcément tous les codes que tu pourrais avoir ailleurs mais tant mieux, c’est une richesse d’avoir un autre point de vue avant d’entrer dans le milieu du journalisme.
C’est quoi les Radio Campus dans 10, 15, 30 ans ?
Nicolas :
Émile : Il y a une complémentarité avec les autres médias. L’idée n’est pas de dénigrer ce que font telles ou telles radios de service public ou privées, commerciales, locales ou nationales... Elles font toutes à peu près correctement voire très bien leur travail. Notre objet c’est de faire en sorte que chaque radio fasse bien son travail, et elles le font bien dans cette logique de complémentarité : apporter dans le champ médiatique quelque chose de différent. Et sincèrement, cette différence, on la trouve dès qu’on se branche sur une Radio Campus ou d’autres radios associatives. Dans 15 ans, j'aimerais que cette voie que représentent les médias citoyens en général, souvent associatifs, qui font parfois de la radio, prenne un peu plus de place dans le champ médiatique, qu’elle soit reconnue par l’ensemble des citoyens.
Elsa : Je souhaite que les Radio Campus soient encore là, et même plus nombreuses et plus fortes. Pour qu’elles puissent durer, il faut qu’elles soient soutenues. J’espère plus de reconnaissance, et pour ce qui est de Radio Campus Paris en tout cas, que l’on soit plus visibles sur internet, avec les podcasts entre autres. C’est un tournant qu’on est en train de prendre, et que l’on doit peut-être prendre un peu plus vite.
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