Étudiants et Développement (E&D) est le réseau des associations jeunes ou étudiantes de solidarité internationale (SI). Cathy Le Goff en était la Présidente au moment de l'interview. Joris Thomann était Chargé de mobilisation citoyenne. Attention : depuis la publication de cet article, l'association a changé de nom et s'appelle désormais Engagé·e·s et déterminé·e·s.
C’est quoi, Étudiants et Développement ?
Cathy : C’est avant tout un réseau, qui essaie de regrouper et de « fédérer » tout un tas d’initiatives et associations jeunes et/ou étudiantes sur tout le territoire.
On anime plusieurs régions grâce à des animatrices et animateurs de réseaux à Nantes, Bordeaux, Montpellier, Lille, Lyon, et Grenoble. On essaie de faire se rencontrer tous ces jeunes, de valoriser leurs initiatives, de former, aussi, parce qu’on travaille sur des visions et des méthodologies d’éducation populaire : échanges entre les pairs, transformation de la société, prise de conscience collective, etc. Le tout sur un cycle d’accompagnement qui se déroule tout au long de l’année, et qui va du simple échange de bonnes pratiques aux formations thématiques, jusqu’aux commissions d’appui aux projets, qui sont des sortes de jurys blancs pour parler de son projet et avancer avec le regard de ses pairs et de professionnels.
E&D c’est des valeurs, une vision, et une vision assez exigeante de la solidarité internationale, avec une volonté de travailler sur la déconstruction des relations Nord / Sud.
NDR : Par « Nord / Sud », on entend « Pays développés / Pays en voie de développement »
On a un slogan qui est : « Le Sud n’existe pas ».
© Etudiants et Développement
Quelles sont les idées reçues sur la solidarité internationale ?
Joris : On en voit beaucoup passer. Tout étudiant·e français·e qui a grandi dans notre société a des représentations, ce qui est normal, sur des cultures, des langues et des pays qui sont différents, parfois aussi sur des personnes à la couleur de peau différente de la sienne.
Les représentations portées sur les pays du Sud sont bien souvent : « tout le monde est pauvre dans les pays en développement », « tout le monde a besoin d’aide », « il faut absolument envoyer de l’argent, de la nourriture, des soins de santé ».
S’il y a une part de vérité dans ces représentations, elles relèvent malgré tout d'une généralisation et sont discriminantes, parce que quand on considère que tout un ensemble qui se trouve au sud de chez nous est pauvre et a besoin d’argent, c’est généraliser et c’est ne pas considérer la dignité des personnes qui vivent là-bas et aussi leur capacité à s’en sortir par elles-mêmes.
À E&D, on cherche à déconstruire les stéréotypes qui sont portés sur les pays du Sud, pas pour arrêter d’intervenir et empêcher toute solidarité internationale - on essaie de la promouvoir - mais plutôt par la coopération et l'entraide. Dans un projet de solidarité internationale, on va pouvoir apporter quelque chose au « bénéficiaire », mais on va être nous-mêmes bénéficiaires de ce projet et de cet échange parce qu’on va apprendre des cultures différentes, des langues différentes...
Ça va nous aider dans notre parcours personnel, professionnel et citoyen et c’est en ça que l’on dit qu’il n’y a pas de Nord, pas de Sud. C’est une seule planète, sur laquelle il y a de l'entraide pour répondre à des défis qui sont globaux et qui traversent toutes les sociétés du monde.
© Etudiants et Développement
Comment cet engagement peut-il aider dans la vie étudiante quotidienne ?
Joris : Pour les associations étudiantes qu’on accompagne, c’est un parcours d’engagement, fait de toutes les petites étapes dans ta vie étudiante mais aussi personnelle et professionnelle où tu vas apprendre à monter un projet, à travailler en équipe, apprendre à travailler avec des partenaires qui n’ont pas la même langue ni la même culture que toi...
Et toutes ces étapes dans ce « parcours d’engagement » vont faire que tu vas renforcer tes compétences professionnelles à travailler dans le milieu associatif de solidarité internationale et de coopération, mais aussi développer des savoir-être et des connaissances qui vont t’aider à mieux appréhender l’interculturalité, qui est présente dans notre société, qui n’est pas uniquement à 6000 kilomètres de chez nous, mais qui est aussi juste à côté de notre porte.
Quelles sont les qualités que l’on peut retrouver chez les étudiants qui s’engagent à E&D ?
Cathy : La notion d’interculturalité de manière globale. Cette idée de toujours aller chercher l’information, d’échanger, de savoir se remettre en question, constamment.
Prendre conscience que tout est connecté et lié, au niveau mondial.
Joris : La curiosité est une qualité importante. La curiosité d'aller à la rencontre de personnes différentes de soi, et de se nourrir de ces nouvelles connaissances. Toutes les sociétés du monde sont métissées, on a tous construit nos sociétés avec des mouvements de population, des mouvements sociaux ou l’on croise différentes idées du temps, de la famille, du travail, de l’argent.
Une grosse part de modestie aussi, je pense, et une volonté de « faire ensemble », et non pas « faire pour ».
© Etudiants et Développement
Dans vos valeurs, vous évoquez « la primauté de la démarche sur le résultat », dans le montage d’un projet de solidarité internationale. Ça veut dire quoi, concrètement ?
Joris : Que ce qui prime, c’est tout ce qu’on va apprendre et retirer d’une expérience de solidarité internationale. Bien évidemment, les projets humanitaires sont en général évalués sur des résultats, parce qu’ils sont montés avec des objectifs, qu’on déroule en activités et qui vont créer tel impact mesurable avec tel indicateur. C’est une approche « par projet ».
Nous on essaie d’avoir plutôt une approche « par la démarche », même si on forme les associations étudiantes à monter des projets qui soient durables et qualitatifs.
C’est quoi, l’ECSI ?
Cathy : C’est l’Education à la Citoyenneté et à la Solidarité Internationale.
On a un triptyque pour la définir : « S’informer, comprendre, agir ».
Par les informations, je peux adapter mon comportement, et sensibiliser à mon tour.
L’ECSI, c’est pouvoir prendre conscience que tout est lié dans le monde. Ce que je fais ici, comment je vis, comment je consomme, à des conséquences partout. En partant de cette prise de conscience, on va pouvoir produire des leviers de changement pour aboutir à une transformation de la société – ça va très loin mais c’est vraiment le but, au bout du compte.
Éduquer, sensibiliser à tout ce qui peut être fait pour transformer une société donnée et arriver à un monde plus solidaire, en adaptant ses propres comportements et en pouvant à son tour sensibiliser. On a toutes et tous son idée sur le sujet, moi j’ai l’impression que c’est tout simplement de l’éducation populaire appliquée à la solidarité internationale.
NDR : Concrètement, une action d’ECSI retranscrit une expérience de solidarité internationale, sous la forme d’une expo’, d’un débat, d’un documentaire, etc.
Joris : Tu parles de leviers de changements et de transformation de la société, Cathy, et c’est vrai que c’est l’objectif... Apporter les informations nécessaires pour comprendre quels leviers on peut activer, non pas pour répondre à des conséquences de sous-développement, mais plutôt pour répondre aux causes du sous-développement.
Et c’est ça, l’enjeu : éviter de répliquer les inégalités dans la société aujourd’hui, à commencer par la société française, mais aussi dans le monde entier. Plutôt que d'envoyer de la nourriture au coup par coup, ce qui équivaut à mettre des pansements sur des plaies ouvertes, on peut repenser la répartition, inégale, des ressources alimentaires pourtant suffisantes aujourd'hui pour nourrir tous les êtres humains.
NDR : Le PIEED est le Prix des Initiatives Etudiantes pour l'Education à la Citoyenneté et à la Solidarité Internationale. Il vise à accompagner, récompenser et valoriser des projets d'associations étudiantes engagées dans des actions d'ECSI.
Vous avez d'autres exemples de projets sous le « PIEED » ?
Joris : Avec le PIEED, on a une diversité de formats et d’actions qui sont souvent originaux et innovants, et une diversité de thématiques et de lieux d’actions. Ce sont toujours des projets qui se déroulent en France, puisque ce sont des projets de sensibilisation, qui font suite souvent, mais pas dans tous les cas, à une action de solidarité internationale sur le terrain.
Le but est de montrer des gens qui s’engagent à l’étranger ou en France pour répondre à des défis sociaux ou environnementaux, puis de voir comment ces engagements peuvent être inspirants pour les personnes résidant en France, et leur donner des pistes pour pouvoir à leur tour participer au changement social global qu’on essaie de créer.
Savez-vous ce que deviennent les étudiants qui se sont engagés au sein de votre réseau ?
Joris : Rien que la participation active à l’activité du réseau, comme être membre du Conseil d’Administration, peut être un apport intéressant pour sa vie future. Voir comment fonctionne un réseau associatif, comment on produit des messages, comment on réfléchit à des sujets pour réagir à l’actualité politique chaude... tous ces axes peuvent amener à s’engager plus encore.
Ce qu’on essaie aussi de promouvoir et de développer, c’est amener les jeunes vers une professionnalisation de leur propre structure étudiante.
Cathy : On parle beaucoup de « mise en capacité », que ce soit en participant à nos formations ou par un engagement personnel au CA. On peut suivre au cours d'un mandat des projets absolument passionnants, porter des messages, et si un jeune veut s’investir dans la solidarité internationale, il y a plein de cursus possibles, tout dépend de ce que l’on aime faire dans un projet.
Si j’avais un conseil à donner, ce serait simplement d’aller à la rencontre des autres, d’aller à des événements, à des soirées de réseaux, d’imaginer l’année de césure.... Si on ne fait pas « Licence-Master » d’un seul coup, c’est pas grave ! L’important, à mon sens, c’est de rencontrer des gens.
Et vous, Cathy et Joris, qu’est-ce qui vous a donné envie de vous engager ?
Cathy : Oh, c’est pas compliqué, c’est tout ce que je viens de dire, c’est-à-dire surtout les rencontres. J’ai rencontré les bonnes personnes au bon moment et ces bonnes personnes au bon moment m’ont amené sur des espaces d’implication et de militantisme auxquels j’avais pas forcément pensé et qui m’ont complètement inspiré. Mes premiers amours militants, c’était le développement durable, l’environnement, avec le poing levé, sans trop de connaissances mais juste en me rendant compte qu’il y avait un « truc qui n’allait pas ».
Et au fur et à mesure des années, j’ai rencontré des personnes jusqu’à arriver à E&D : j’ai assisté à des réunions, participé à des formations, commencé à comprendre l’ECSI et à me dire « je suis là où je dois être ».
Joris : Je partage totalement ce que dit Cathy.
C’est vraiment ce dont a besoin avant de s’engager : des gens qui vous disent « c’est bien, vous êtes sur la bonne voie, ce que vous faites est utile », même si c’est pas forcément valorisable financièrement parlant.